Un pays exsangue, mais une population qui garde espoir

Beit Beirut a récemment ouvert ses portes en tant qu’espace d’exposition et mémorial de la guerre civile. Lors de travaux de rénovation, Mona El Hallak, architecte et militante pour la préservation du patrimoine, a découvert 11 000 négatifs photographiques – pour la plupart des portraits datant des années 1950 à 1970 – dans un studio de photographie au rez-de-chaussée. Les visiteurs sont invités à emporter un tirage photo et à essayer de retrouver la personne qui figure sur le portrait. © Nichole Sobecki / VIIF

Perle du bassin méditerranéen pendant de nombreuses décennies, le Liban a progressivement sombré dans le chaos au fur et à mesure que les bouleversements internationaux (fin de la guerre froide, guerres du Moyen-Orient, etc), les conflits régionaux (conflit israélo-palestinien) et locaux et les incursions répétées de ses voisins (Syrie, Israël) ont gangréné sa vie politique intérieure et fait se dégrader la situation économique. Devenu une terre de réfugiés, le pays a vu sa démographie exploser jusqu’à redéfinir l’équilibre des forces en présence, tant le pays est régi par les tensions confessionnelles. Ainsi, en 2018, sur près de 7 millions d’habitants que compte ce territoire grand comme le département de la Gironde (officiellement, sa superficie est établie à 10 452 km2), on compte presque 21% de réfugiés, pour beaucoup regroupés dans des camps toujours plus peuplés. La guerre en Syrie a jeté sur le territoire libanais les dernières victimes d’une géopolitique au Proche-Orient qui rebat les cartes des influences, sur fond de montée de l’extrémisme djihadiste et d’une mondialisation effrénée aux prises avec les conséquences d’une sidérante pandémie.

Entre 1960 et 2018, la population totale a augmenté de 279%, pour s’établir à 6 848 925 habitants en 2018. Un Libanais sur trois vit dans une agglomération de plus d’un million de résidents. Source : École de politique appliquée, Faculté des lettes et sciences humaines, Université de Sherbrooke, Québec, Canada.

Avant le confinement imposé par la Covid-19 et avant que l’explosion accidentelle d’une énorme quantité de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth ne se produise le 4 août dernier – ultime drame d’une tragédie sans doute inéluctable –, les Libanais ont tenté de faire plier leur gouvernement et sont descendus par milliers dans les rues de la capitale.

Pour Imagine : penser la paix, la journaliste Robin Wright et la photographe Nichole Sobecki reviennent sur la guerre civile de 1975 et sur celle qui a opposé le Liban en 2006-2007 à Israël, et présentent, par l’entremise des témoins qu’elles ont rencontrés, la société d’aujourd’hui. Elles documentent ainsi les profondes stigmates laissées par ce conflit opposant chrétiens et musulmans, et comment la paix est mise à rude épreuve face à la crise économique du pays, à la corruption du pouvoir politique et à la pression des pays voisins, Israël et la Syrie en tête. Le témoignage de Mira Sidawi, réfugiée palestinienne dans le camp de Bourg-el-Barajneh, raconte comment ce statut spécifique enferme ceux qui le portent, et comment elle a réussi à surmonter le poids de sa détresse pour faire de ce statut une source de création artistique.

Imagine : penser la paix donne également à voir un portfolio exceptionnel du reporter de guerre britannique légendaire Don McCullin, à qui la Tate Britain de Londres a consacré une grande exposition rétrospective en 2019. Ses images du Liban de 1976 hantent l’inconscient de ceux qui se souviennent de la tragédie du massacre de Karantina, prémice de la folie meurtrière qui allait s’abattre pour plusieurs années sur le peuple libanais.

Beyrouth, Liban, janvier 1976. Des Palestiniens fuient l’attaque. Près de 1 500 d’entre eux sont morts dans le massacre de Karantina, perpétré par des tireurs phalangistes chrétiens. © Don McCullin / Contact Press Images

« La situation était plus qu’effrayante, elle était dramatiquement effrayante, comme si nous étions à l’aube d’un nouvel âge des ténèbres. J’ai pris mon appareil photo, et j’ai photographié, sans m’arrêter. J’avais des images qui pourraient montrer au monde l’énormité du crime qui venait d’avoir lieu à Karantina. »

Don McCullin, Unreasonable Behaviour (Risques et périls), nouvelle édition © Jonathan Cape, 2015

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Le Liban a enduré des décennies de luttes sectaires, de conflits intérieurs larvés, de vendettas sanglantes, d’attentats-suicides, d’invasions et de guerres. Depuis son indépendance en 1943 du protectorat français, la fragile gouvernance du Liban repose sur son pacte national, une division complexe du pouvoir accordant un statut préférentiel à la communauté chrétienne maronite alors majoritaire, sur ses citoyens chiites, sunnites et druzes. Sur la base du recensement de la population du Liban de 1932, le seul recensement officiel réalisé à ce jour.

« Le conflit libanais, long de quinze années, a compté en fait plusieurs guerres. Il a éclaté le 13 avril 1975, sous un déluge de balles tirées par une milice chrétienne et des tireurs palestiniens, dans des embuscades œil pour œil, dent pour dent. La plupart des premières victimes étaient des civils visés par des tirs alors qu’ils discutaient devant l’église ou effectuaient un trajet en bus. La guerre dans ce petit pays du Levant, qui fait à peu près la taille du Connecticut, a fini par s’étendre au-delà des frontières, puis des continents. Plus d’une douzaine de milices locales, ainsi que les armées ou les intérêts de gouvernements étrangers étendus sur quatre continents ont été aspirés dans la lutte. Comme c’est le cas dans la plupart des conflits, il s’est avéré plus facile de le commencer que de le terminer. »

Robin Wright, Le feu sous les cendres, extrait de Imagine : penser la paix.
>> À propos de Robin Wright
Depuis 1973, Robin Wright a couvert tous les conflits et intrigues politiques du Moyen-Orient. Elle a vécu à Beyrouth à une époque où la ville était le théâtre d’une lutte sectaire se jouant sur quinze années de guerre civile, au cœur des tensions de la guerre froide et sur fond de rivalités régionales. En 1989, l’accord de Taëf a mis fin à la guerre. Mais si les fusils se sont tus, les tensions politiques ont perduré. 
Robin Wright est retournée au Liban pour y retrouver les visages familiers de ceux qui ont fait les gros titres des années 1980 et 1990 : un pirate de l’air, un milicien repentant, un seigneur de guerre. Elle a aussi découvert les visages de cette nouvelle génération qui lutte pour créer une autre société, celle de l’après-guerre : un étudiant engagé en politique, un musicothérapeute, et le propriétaire d’un restaurant bio qui propose des cours de cuisine intercommunautaires, dans l’espoir que le culinaire puisse inspirer la recette de la tolérance. Le Liban illustre le défi que représente pour une société déchirée celui de se reconstruire. En 2020, trente ans après la fin de la guerre civile, le pays est à nouveau au bord du précipice politique après des mois de manifestations populaires. La population est descendue en masse dans les rues – toutes obédiences confondues – pour réclamer l’éviction de toute la classe politique, la chute du régime et la fin du règne des seigneurs de guerre. La paix a encore un long chemin à parcourir. <<

Tous ces portraits sont à retrouver dans Imagine : penser la paix.

La vétusté des infrastructures et la pauvreté sévissent dans le camp de réfugiés de Chatila et dans le quartier adjacent de Sabra, où les résidents palestiniens restent marginalisés et sans statut légal au Liban. L’arrivée de milliers de réfugiés fuyant le conflit syrien est venue encore renforcer le fardeau de ce camp déjà délabré. © Nichole Sobecki, 2017 / VIIF, pour Imagine : penser la paix.

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CONTEXTE HISTORIQUE // 636-1099 > Le premier califat conquiert le Levant. // 1099-1291 > La première croisade redonne le règne aux chrétiens. // 1291-1516 > L’Empire ottoman conquiert des territoires d’Alger à Bagdad. // 1516-1916 > Le Liban est sous la domination d’un Empire ottoman qui connaît une série de conflits internes. Les chrétiens maronites, les musulmans sunnites et les druzes s’en disputent la suprématie. Dans les années 1800, les puissances européennes apportent leur soutien aux différents groupes confessionnels comme bases d’influence dans la région. Le jeu des alliances commence sur fond de montée des nationalismes. // 1914-1915 > La Première Guerre mondiale engloutit l’Europe. Le réseau complexe d’alliances en place jusqu’alors s’effondre dans le conflit, déclenché par l’assassinat de l’héritier de l’empire austro-hongrois. D’avril 1915 à juillet 2016, le génocide perpétré par les Ottomans, alliés aux puissances centrales, entraîne la disparition d’environ 1,5 million d’Arméniens d’Anatolie et d’Arménie occidentale. Les deux tiers d’entre eux vivant sur le territoire actuel de la Turquie sont systématiquement déportés, massacrés et réduits à la famine. // 1916 > Les accords Sykes-Picot signés secrètement le 16 mai entre la France et le Royaume-Uni prévoient de réorganiser les provinces ottomanes sur la base d’anciennes cités-États : ce découpage du Proche-Orient, validé par la jeune république russe et les Italiens, anticipe la chute de l’Empire ottoman et crée les futurs Syrie, Liban, Palestine, Jordanie et Irak, tous restant sous l’influence française et britannique. // 1919-1920 > Au lendemain de l’armistice, les Alliés distribuent des mandats coloniaux : les Britanniques prennent le contrôle de l’Irak, de la Palestine et de la Jordanie, tandis que les Français disposent de la Syrie et du Liban. Les Britanniques renient ainsi leur promesse faite aux dirigeants arabes de leur octroyer un grand royaume indépendant. // 1920 > Lors de la conférence de San Remo (avril), la Société des Nations donne mandat à la France pour administrer le Liban et la Syrie. L’État du Grand Liban est créé officiellement le 31 août. Les velléités d’indépendance de la Syrie voisine et sa volonté de s’unir à la Palestine et à la Transjordanie ont été écrasées par les troupes françaises le 24 juillet, obligeant le roi Fayçal à l’exil. Le tracé d’une nouvelle frontière entre le Grand Liban et la Syrie vise à protéger le patriarcat maronite et garantit une mainmise sur les terres agricoles du pays. // 1926 > La République libanaise est proclamée. La première constitution instaure un système parlementaire. // 1932 > Un recensement national de la population a lieu : sur 875 000 Libanais, le pays compte 40% de musulmans et 58,7% de chrétiens. // 1941 > Lors de la Seconde Guerre mondiale, pendant que l’Allemagne nazie balaie l’Europe, les Britanniques envahissent la Syrie et le Liban français. Le Liban devient un important centre logistique pour opérer la guerre en Afrique du Nord. // 1943 > Le Liban déclare son indépendance vis-à-vis de la France. Le système politique établit une répartition tripartite du pouvoir selon le recensement de 1932 : le Président est un chrétien maronite, le Premier ministre, un musulman sunnite, le Président de la Chambre des députés, un musulman chiite.

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Imagine : penser la paix © VIIF / Le Liban
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« Mon père a quitté la Palestine à l’âge de 20 ans pendant la Nakba (la catastrophe), l’exode de 1948. Il m’a raconté comment tous les habitants du village de Cheikh Danoon, situé à Akka (Acre), l’ancienne ville portuaire de la Palestine, s’étaient mis à courir, la plupart d’entre eux sans chaussures, pour fuir les balles et le feu des soldats israéliens. Mon oncle est resté au village, caché dans une vieille cave. Mon père n’a pas pu faire de même : il a choisi de s’en aller. Lorsqu’il décrivait son village, mon père disait qu’il était tout gris – gris à cause du feu et des hurlements et des morts partout. Mon père m’a raconté qu’il avait marché pendant des jours, jusqu’à ce qu’il atteigne le sud du Liban. Longtemps, lui et d’autres ont dormi là-bas, dans les vallées. »

Mira Sidawi, Je suis une réfugiée, tout comme Superman, extrait de Imagine : penser la paix.

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CONTEXTE HISTORIQUE // 1943-1946 > Les dernières troupes françaises se retirent du Liban, lui assurant son indépendance. Le partage du pouvoir politique existant est reconnu par les institutions. // 1945 > La Ligue arabe est créée au Caire le 22 mars et Le Liban en est un des membres fondateurs avec l’Égypte, l’Arabie saoudite, l’Irak, la Jordanie et la Syrie. // 1945-1948 > Les juifs survivants de l’Holocauste fuient l’Europe pour le Levant. Alors que des centaines de milliers de personnes ont émigré vers la Palestine britannique, l’ONU commence à imaginer un plan de partition pour la Palestine qui créerait deux États distincts. // 1948 > La guerre israélo-arabe contraint à l’exil forcé 700 000 Palestiniens dans ce que l’on appelle la Nakba ou « la catastrophe ». L’État d’Israël est proclamé. // 1949 > L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) installe des camps de réfugiés pour les Palestiniens exilés au Liban. // 1958 > Une crise politique pousse le Liban dans la guerre civile. Le président chrétien Camille Nimr Chamoun, hostile au communisme et au panarabisme, tente de maintenir le Liban dans le giron de l’Occident, tandis que le nationalisme arabe balaie les pays voisins, avec l’enthousiasme d’une grande partie de la population musulmane libanaise. Le président américain Eisenhower intervient diplomatiquement et militairement, contre l’avis de l’Union soviétique et de la France, assurant une élection controversée et une transition du pouvoir. Fouad Chéhab remplace Chamoun pour rassurer les intérêts musulmans. // 1967 > Lors de la guerre des Six Jours, Israël gagne des territoires stratégiques clés en prenant le contrôle de la bande de Gaza et de la péninsule du Sinaï (à l’Égypte), de la Cisjordanie (à la Jordanie) et des hauteurs du Golan (à la Syrie). // 1970 > L’OLP, créée en 1964 à Jérusalem dans le but de « libérer » la totalité de la Palestine, est expulsée de Jordanie. La guerre des Six Jours a transformé ce mouvement palestinien en une organisation militaire et terroriste. Une série de détournements d’avions civils et de prises d’otages conduit à un conflit bref mais explosif entre la Jordanie et l’OLP d’Arafat, soutenu par ses alliés syriens. En septembre, les quartiers généraux de l’OLP et les camps palestiniens ne résistent pas aux assauts des blindés de l’armée jordanienne. // 1970-1975 > L’OLP établit une nouvelle base d’opérations au Liban. Les milices sectaires commencent à s’organiser. Deux factions principales s’opposent : une faction panarabe et musulmane, soutenant les Palestiniens, et une partie chrétienne maronite. Chaque camp constitue une coalition de milices composées de sous-groupes laïques ou religieux.

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Karantina, Beyrouth, janvier 1976. Des Palestiniens implorent la pitié des tireurs chrétiens. © Don McCullin / Contact Press Images

« À la tombée du soir, sous une pluie battante, j’ai couru avec les combattants de la première vague. Ils portaient tous des cagoules. Nous nous sommes planqués à l’abri d’un mur bas. De l’autre côté, on évacuait les patients d’un hôpital psychiatrique. Des gens sont apparus aux fenêtres d’une aile du bâtiment. Un des combattants des Phalanges les a hélés puis, comme il n’avait pas obtenu la réponse qu’il attendait, il a lâché une rafale de fusil automatique sur les fenêtres.

Dès la matinée suivante, cela a été un même sifflement de balles de tireurs embusqués. Tout le monde semblait s’être retranché au cœur de Karantina. On a vu arriver un vieux camion américain, un genre de pick-up Dodge, surmonté d’une énorme mitrailleuse de 50 mm. Le phalangiste aux commandes déversait un feu nourri, à l’aveugle. »

Don McCullin, Unreasonable Behaviour (Risques et périls), nouvelle édition © Jonathan Cape, 2015
Beyrouth, Liban, janvier 1976. Jeunes chrétiens près du corps d’une jeune Palestinienne. © Don McCullin / Contact Press Images

« Un peu plus loin sur la même route, nous avons entendu de la musique. Un jeune garçon jouait sur un luth cassé qu’il devait avoir volé dans cette maison à moitié brûlée. Il grattait les cordes de l’instrument à côté de ses camarades, comme s’ils étaient à un pique-nique au milieu des amandiers, au soleil. Devant eux gisait dans des flaques de pluie hivernale le cadavre d’une jeune fille Palestinienne.

Mon esprit a été saisi par cette image de carnaval joyeux au milieu du carnage. Elle semblait en dire si long sur ce que Beyrouth était devenu. Prendre mon appareil aurait pu être un risque de trop. Mais le garçon m’a interpellé. “Hé, m’sieur ! m’sieur ! Viens prendre une photo.” J’avais toujours peur mais j’ai quand même pris très vite deux clichés, en pensant en moi-même : “Quand ils seront publiés, ils leur feront honte.” »

Don McCullin, Unreasonable Behaviour (Risques et périls), nouvelle édition © Jonathan Cape, 2015

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LA GUERRE (1975-1990) // Avril 1975 > Des incidents font basculer le Liban dans une guerre civile à grande échelle avec la fusillade d’un car de militants palestiniens lors de son passage dans une localité chrétienne près de Beyrouth, le dimanche 13 avril, par les Phalanges. Cette embuscade fait 30 morts palestiniens et répond à l’assassinat quelques heures plus tôt de deux chrétiens dans cette localité. Les dissensions politiques grandissent au sujet des opérations palestiniennes menées contre Israël depuis le Liban. Le Mouvement national libanais (MNL), dirigé par Kamal Joumblatt, chef druze du Parti socialiste progressiste, veut plus de pouvoir pour les arabes, tant chrétiens que musulmans, et soutient les Palestiniens. De l’autre côté, se crée le Front libanais des chrétiens défendant la nation libanaise. À Beyrouth, la Ligne verte devient une ligne de démarcation entre l’ouest musulman et l’est chrétien. Le centre-ville est détruit à l’automne. // 1976 > Le massacre de 1500 Palestiniens par les phalangistes chrétiens habitant le quartier de Karantina, à Beyrouth-Est, fait réagir l’OLP qui, à son tour, fait tuer des centaines de civils chrétiens à Damour. // 1976-1977 > Début juin 1976, la force arabe de dissuasion (FAD), créée pour maintenir la paix et principalement composée de troupes syriennes, entre au Liban en médiateur avisé. Cette intervention de la Syrie fait stopper les combats, après 18 mois de guerre et 65000 victimes. Mais les milices chrétiennes lancent des représailles d’envergure contre la présence des forces arabes à Beyrouth, et se rapprochent des Israéliens. // 1977-1982 > L’ONU tente d’intervenir quand le conflit déborde de la frontière avec Israël et que l’armée israélienne envahit le Sud-Liban en mars 1978. Le 7 juillet 1980, les phalangistes chrétiens s’entretuent lors du massacre de Safra, alors que, sous l’autorité de Bachir Gemayel, ils tentaient de consolider toutes les factions combattantes autour des Forces libanaises. // Juin 1982 > Israël envahit une nouvelle fois le Liban, Beyrouth est assiégée. Le diplomate américain Philippe Habib organise un cessez-le-feu. // Août 1982 > L’accord appelle au retrait des éléments de l’OLP et israéliens du Liban, sous le contrôle d’une coalition de forces américaines, françaises et italiennes. L’OLP est forcée de quitter Beyrouth, évacuée par bateau vers la Tunisie et par voie terrestre vers les États arabes voisins. Les Israéliens se replient vers le sud sans quitter pour autant le Sud-Liban. // Septembre 1982 > L’assassinat de Bachir Gemayel, chrétien maronite et président élu, entraîne à sa suite les massacres du quartier de Sabra et du camp de réfugiés de Chatila par les Phalangistes chrétiens. On estime que 3 500 civils, principalement des Palestiniens, ont été assassinés, alors que les troupes israéliennes stationnaient non loin de là.

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« Dans cette guerre se sont empilées des strates, nombreuses
et confuses. Parmi elles, les chrétiens se dressaient contre les musulmans, les Palestiniens contre les Israéliens, les Marines américains contre les intermédiaires de l’Iran, l’Occident contre l’Orient, les fascistes contre les socialistes, de fervents croyants contre des athées stoïciens. Au fil du temps, les alliances ont fluctué, les ennemis ont changé de camp. La guerre était pleine de contradictions. À un moment ou un autre, chacune des principales communautés religieuses s’est aussi battue contre ses propres frères – de manière tout aussi sanglante – pour le contrôle de territoires ou du pouvoir. »

Robin Wright, Le feu sous les cendres, extrait de Imagine : penser la paix.
L’un des sous-produits de cette guerre civile de quinze ans fut l’émergence du Hezbollah, qui est apparu après l’invasion d’Israël en 1982 et demeure la dernière milice militarisée au Liban. Le Hezbollah gère des cimetières spécifiques pour ses combattants – certains ont leurs propres pages Facebook – dont plusieurs sont situés dans la banlieue à majorité musulmane chiite de Beyrouth, Dâhiye. © Nichole Sobecki / VII, 2017

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Pendant la guerre civile, « Hamza » Akel Hamieh (ici debout, deuxième à droite, dans les années 1980) était le commandant d’une unité de la milice d’Amal, le mouvement musulman chiite né au Liban. © Nichole Sobecki / VII, 2017

« J’ai rencontré Akel Hamieh peu après son dernier détournement d’avion, au début des années 1980. Il était le commandant militaire d’Amal, la plus importante milice chiite du Liban à l’époque. (…) Il m’a fallu plus de deux ans pour retrouver [sa] trace. Je l’ai trouvé le bras sous perfusion, se remettant d’une blessure, dans le labyrinthe des banlieues pauvres du sud de Beyrouth. De son autre bras, il berçait, dans un petit hamac, son fils de 6 mois, Chamran. Des commandos d’Amal encerclaient la petite chambre. Hamieh avait des partisans à travers tout le Moyen-Orient. Il avait accompagné l’ayatollah Khomeini lorsque le leader révolutionnaire était revenu en avion à Téhéran, en 1979, de son exil parisien. Il s’était battu contre l’armée de Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak. Ses combattants le surnommaient « Hamza », du nom de l’oncle du prophète Mahomet, un guerrier célèbre dans les premiers temps de l’empire islamique. On a discuté pendant des heures sur la question de pourquoi les hommes se battent. Il en était le prototype. » 

Robin Wright, Le feu sous les cendres, extrait de Imagine : penser la paix.

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LA GUERRE // 1983 > En avril, l’attaque-suicide de l’ambassade américaine à Beyrouth par un kamikaze fait 63 morts. Considérée aujourd’hui comme la première attaque islamiste contre une cible américaine, il est suivi en octobre par un second attentat qui verra la mort de 241 soldats américains et 58 soldats français. Soit le plus grand nombre d’Américains tués sur un sol étranger depuis la Seconde Guerre mondiale. Les bombardements se poursuivant, les États-Unis commencent à se retirer du Liban. // 1985 > Israël se retire progressivement du Sud-Liban. Les forces chiites du mouvement Amal, soutenues par la Syrie et l’armée libanaise, attaquent les camps palestiniens, pendant que Michel Aoun, commandant des Forces armées libanaises, tente d’unir les factions chrétiennes maronites et que le Hezbollah se bat contre Amal. // 1988 > Le président Amine Gemayal, chrétien maronite, nomme le général Michel Aoun, également chrétien maronite, Premier ministre par intérim, contrevenant au système tripartite en vigueur. // Mars 1989 > Le général Aoun déclare une « guerre de libération » contre la Syrie, qui se poursuit l’année suivante jusqu’à ce que ses troupes libanaises soient évincées par les forces syriennes. // Octobre 1989 > L’accord de paix de Taëf, organisé sous l’égide de la Ligue arabe, est signé en Arabie saoudite le 22 octobre 1989, qui ouvre la voie à des réformes politiques visant à une réconciliation nationale. L’accord appelle la Syrie à retirer ses troupes et le Liban à rétablir le contrôle sur tout le Liban. En octobre, la Syrie bombarde l’armée du général Aoun, seul réfractaire à l’accord, qui rend finalement les armes. // Octobre 1990 > La Ligne verte séparant Beyrouth-Est et Ouest commence à être démantelée.

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La circulation devant le musée de Beit Beirut, un mémorial de la guerre civile et un espace d’exposition récemment ouvert. C’est un ancien édifice résidentiel de trois étages, l’immeuble Barakat, qui a été rénové. Il se trouve au croisement de Sodeco à Beyrouth, sur la ligne verte qui, pendant la guerre, séparait les quartiers chrétiens, à l’est de Beyrouth, des quartiers musulmans à l’ouest. Un quartier stratégique autrefois considéré comme trop dangereux pour s’y risquer, même pendant les cessez-le-feu. © Nichole Sobecki / VII, 2017

« La bataille principale du Liban a été de reconstruire un État uni à partir de tous les mini-États créés pendant la guerre. Pendant des décennies, le pays avait été à la dérive, dans une sorte de purgatoire politique. Il était la première démocratie du monde arabe, mais son pacte de partage du pouvoir – entre 18 communautés religieuses – en avait aussi fait l’État arabe le plus dysfonctionnel. » 

Robin Wright, Le feu sous les cendres, extrait de Imagine : penser la paix.

>> À propos de Nichole Sobecki
« C’est au Liban que j’ai commencé à travailler comme journaliste. J’étais stagiaire au Daily Star – le tabloïd anglais le plus connu dans le monde arabe – quand j’ai publié mes premières photographies. Sur une courte période, j’ai même été en charge de la rédaction des horoscopes, déconcernant mes amis sur leur destinée. 
J’ai vu la guerre pour la première fois en 2007, lorsqu’une bataille a éclaté dans le camp nord-palestinien de Nahr el-Bared. Les combats entre l’organisation militante islamique Fatah al-Islam et l’armée libanaise ont commencé le matin de mon vingt et unième anniversaire. Bien que la violence en Syrie et dans d’autres régions du Moyen-Orient ait depuis éclipsé la destruction de Nahr el-Bared, il s’agissait des affrontements internes les plus violents que le Liban ait connus depuis la fin de la guerre civile, en 1990.
En 2017, je suis retournée au Liban avec l’écrivaine Robin Wright pour essayer de donner un sens à la paix dans un territoire si défini par le conflit. Alors que nous rencontrions d’anciens combattants et de jeunes créateurs, j’ai repensé à l’une des fables d’Ésope, Le Chêne et le Roseau, et aux innombrables tempêtes que ce pays a traversées sans se briser. Ici, la paix se dessine dans des nuances de gris. C’est pour cela qu’il faut se plier face au vent, endurer, et embrasser le présent, malgré le feu sous les cendres. » <<

Le portfolio de Nichole Sobecki est à retrouver dans Imagine : penser la paix.

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LA PAIX // 1991 > Le parlement libanais adopte une loi d’amnistie pour les anciens crimes politiques. // 1991-2005 > Le Liban se reconstruit sous la tutelle syrienne. Israël poursuit son action militaire au Sud-Liban contre le Hezbollah soutenu par l’Iran. // 1996 > Lors de l’opération Raisins de la colère, Israël attaque les bases du Hezbollah et frappe la base de l’ONU à Cana, tuant 100 personnes. // 2000 > En mai, Israël se retire officiellement du Liban. // 2005 > L’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri, sunnite, le 14 février déclenche la révolution du Cèdre : le peuple libanais se soulève pour s’opposer à la présence et à l’influence syriennes. // 2006 > Israël mène une guerre de 34 jours contre le Hezbollah au Sud-Liban. // 2009 > Le Tribunal spécial des Nations unies pour le Liban (TSL) est nommé en charge de juger les assassins de Hariri. // 2011 > Le Printemps arabe voit des vagues de manifestations s’opérer partout dans le monde arabe. La totalité des États arabes est concernée, sauf le Qatar. Au Liban, les contestations n’entraînent aucun changement dans les résultats des élections du gouvernement. // 2011-2017 > La guerre civile syrienne déborde au Liban, qui accueille des milliers de réfugiés. L’armée libanaise combat l’État islamique tandis que les factions politiques libanaises débattent du camp à soutenir en Syrie. // 2013 > Le Liban reporte les élections en raison de l’escalade de la guerre en Syrie. // 2016 > Michel Aoun remporte la présidence, nomme Saad Hariri Premier ministre, fils de l’ancien Premier ministre assassiné. // 2017 > Le 4 novembre, Saad Hariri annonce sa démission depuis l’Arabie saoudite. Des groupes chiites pro-iraniens accusent l’Arabie saoudite sunnite de tenir Hariri en otage et d’avoir forcé sa démission. Une étrange coalition se forme entre les groupes chiites et sunnites au Liban, appelant mutuellement à la liberation de Hariri. Hariri retourne à Beyrouth et revient sur sa démission. // 2018 > Selon l’ONU, il y a plus de 470 000 réfugiés palestiniens au Liban, et, depuis 1948, plus de cinq millions de Palestiniens ont été déplacés. // 2019 > En octobre, le peuple libanais descend en masse dans les rues du pays pour protester contre l’incapacité du gouvernement, jugé corrompu, à juguler la crise économique qui sévit depuis plusieurs mois, marquée par des infrastructures à bout de souffle, l’inflation et le chômage. // 2020 > Dans le contexte du Covid, des explosions au port de Beyrouth et de l’instabilité gouvernementale, le 18 août, le Tribunal spécial pour le Liban déclare Salim Ayyash, membre présumé du Hezbollah, coupable de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri. 

Mahmoud Sabha, réfugié syrien de 15 ans, relâche le pigeon qu’il tenait dans ses mains. © Nichole Sobecki / VII, 2017

« Je vais continuer à imaginer le pays que je mérite. Il se tient libre, accueillant à bras ouverts les pauvres, ceux qui sont fatigués, les artistes, les mères, les enfants, et toute l’humanité. Je crois de plus en plus en la justice, car je rêve de faire disparaître tous les murs qui séparent les êtres humains les uns des autres. Mais vivre dans ces conditions éprouvantes et s’interroger ou écrire sur la paix, c’est déjà en soi une forme de paix. »

Mira Sidawi, Je suis une réfugiée, tout comme Superman, extrait de Imagine : penser la paix.

« La guerre du Liban est terminée, mais des décennies plus tard, une paix totale reste à établir. Pour Mused Dergham Dergham, un ancien combattant, « il y a toujours un feu sous les cendres. » »

Robin Wright, Le feu sous les cendres, extrait de Imagine : penser la paix.

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Brigitte Trichet

Brigitte Trichet

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Exposition à Genève du 16 septembre 2020 au 10 janvier 2021

Le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR) accueille la VII Foundation pour une exposition temporaire sur le thème de la paix. Avec, comme points de réflexions, les principaux sujets abordés dans le livre Imagine : penser la paix (Imagine: Reflections on Peace).