La guerre de Bosnie-Herzégovine et la dislocation de la Yougoslavie (1992-1996)

© Ron Haviv / VII
Soldats bosniaques sur le front pendant la bataille de Sarajevo. © Ron Haviv / VII
En 1992, ce qui reste d'une Yougoslavie fracturée de toutes parts depuis l'effondrement du bloc soviétique s'enflamme dans une guerre fratricide. La guerre civile, qui voit s'affronter Serbes, Croates et Bosniaques, entraîne la mort de plus de 100 000 personnes, dont la moitié sont des victimes civiles, et le déplacement de près de deux millions de réfugiés. De ce conflit ethnique on se souvient de scènes terribles : celles du siège interminable de Sarajevo, celles des massacres, et celles du retour du génocide en Europe.
Le monde entier découvrait le terme de « nettoyage ethnique », caractérisé par l'expulsion, le viol et le meurtre systématiques. 
Pour le livre Imagine : penser la paix, le photographe Ron Haviv et le journaliste Anthony Loyd ont revisité la Bosnie quelques vingt-cinq ans après avoir couvert le conflit. Quant à Pedrag Kojovic, journaliste bosniaque pendant la guerre et désormais politicien, il décompose les luttes auxquelles la Bosnie contemporaine est confrontée depuis les accords de paix de Dayton, héritées d'une histoire vieille de plusieurs décennies. Enfin, Elvis Garibovic, un survivant du camp d'extermination de Keraterm et présent sur l'une des photographies prises par Ron Haviv laquelle a changé le cours de son existence, réfléchit sur son chemin personnel vers la guérison.

« Quand je suis arrivé en ex-Yougoslavie en mars 1992, je n’imaginais pas que ce serait le point de départ d’un voyage qui durerait plus de vingt-cinq ans. (…) La population s’était rapidement scindée le long de lignes ethniques (…). J’étais témoin d’un effondrement complet de la société civile. L’escalade de la violence s’est faite à l’arrivée de l’ancien hooligan de football serbe Arkan, devenu un seigneur de la guerre, et de ses milices paramilitaires, les « Tigres ».

Ron Haviv, extrait Imagine : penser la paix (page 185)

Lors d’un rassemblement pour la paix à Sarajevo, des Bosniaques tentent d’éviter les tirs de snipers. Au moment où les manifestants appelaient au maintien d’une société multiethnique, des hommes armés d’un parti politique radical serbe ont ouvert le feu sur la foule. Plus tard dans la journée, celle-ci a pris d’assaut le Parlement en guise de protestation. 6 avril 1992. © Ron Haviv / VII

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« Dieu n’aura pas oublié ». Une génération en quête de réconciliation.

Par Anthony Loyd

Anthony Loyd fait partie de cette génération de jeunes journalistes qui ont fait leurs classes comme correspondants de guerre en couvrant l’effondrement de la Yougoslavie. Il avait 25 ans quand il a appris le serbo-croate auprès d’une serveuse dans le quartier de Notting Hill à Londres. Un peu plus tard, il a fait son sac et rejoint en stop Sarajevo, où le plus grave conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale faisait rage. Il a passé les quatre années suivantes à rendre compte de cette guerre civile auprès des principaux titres de la presse, avant d’en faire un récit personnel dans un livre, My War Gone By, I Miss It So (non traduit). Anthony Loyd est retourné en Bosnie. Il a renoué avec les victimes et les survivants des années 1990, pour étudier, sous le vernis de la paix, comment la nouvelle génération gère la quête de réconciliation. Il a observé que le pardon peut prendre plusieurs formes. Certaines victimes de la guerre avancent dans la vie. D’autres restent ancrées dans la tourmente du passé.

« Bien que les accords de Dayton aient mis un terme aux hostilités le 21 novembre 1995, mettant un point d’arrêt à près de quatre années d’effusions de sang, qui ont coûté la vie à plus de 100 000 personnes et vu un génocide s’opérer pour la première fois en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, sur bien des aspects, le conflit a été gelé plutôt que stoppé.

Une génération après le cessez-le-feu, les forces motrices de la guerre – le nationalisme, le séparatisme et l’intolérance ethnique – sont non seulement toujours en place mais progressent, réduisant peu à peu les chances du pardon et de la réconciliation, les deux composantes essentielles d’une paix durable. »

Anthony Loyd, extrait Imagine : penser la paix (page 198-199)
Harush Ziberi, un musulman, demande grâce aux « Tigres d’Arkan », une unité paramilitaire serbe dirigée par le seigneur de guerre Arkan, lors de la première bataille de la guerre de Bosnie. Il a ensuite été défenestré lors d’un interrogatoire et son corps a finalement été retrouvé dans une fosse commune. 2 avril 1992. © Ron Haviv / VII

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CONTEXTE HISTORIQUE // 1463-1878 > L’Empire ottoman conquiert et intègre la Bosnie dans son giron. Les décrets impériaux tolèrent une diversité de religions, mais il génère la propagation de l’islam, qui forme alors le groupe ethnique central de la nation, tout en conservant les confessions orthodoxe, catholique et juive. // 1804-1835 > La Révolution serbe lutte puis gagne l’indépendance de la Serbie vis-à-vis de l’Empire ottoman. La Bosnie est à la fois revendiquée par les nationalistes serbes et les nationalistes croates. // 1875-1878 > En 1875, un soulèvement des Croates et des Serbes de Bosnie, soutenus par le Monténégro et par la Serbie, contre les Ottomans et les Bosniaques, déclenche une crise dans les Balkans, résolue lors du Congrès de Berlin de 1878, qui voit inscrite l’annexion de la Bosnie par l’Empire austro-hongrois, affaiblissant la puissance ottomane en Europe, sous la pression russe. // 1908 > En même temps que L’Empire ottoman se disloque peu à peu en Europe sur fond de partage des territoires de la Macédoine par la Bulgarie, la Grèce, la Serbie et la Turquie et de montée des nationalismes, l’Autriche-Hongrie officialise l’annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908, alors condamnée par la Serbie. // 1914 > Les guerres balkaniques, gagnées par les Serbes au détriment des Ottomans, sont un prélude au déclenchement de la Première guerre mondiale, quand un nationaliste serbe, Gavrilo Princip, assassine l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche, prétendant au trône, le 28 juin 1914 à Sarajevo : jeu des alliances, pangermanisme et panslavisme oblige, les relations diplomatiques achoppent et  l’Autriche-Hongrie déclare une guerre « préventive » à la Serbie, avec le soutien de l’Allemagne. // 1914-1918 > Pendant la Première Guerre mondiale, les Bosniaques forment le groupe ethnique le plus touché au sein des forces austro-hongroises. // 1918 > Le nouvel État formé par le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, précurseur de la création de la Yougoslavie, participe à la Conférence de paix de Paris. La nouvelle nation s’organise en une monarchie constitutionnelle. En Russie, les communistes mènent une guerre civile brutale contre les partisans du Tsar. // 1920-1941 Josip Broz Tito, vétéran décoré de la guerre, rejoint le Parti communiste de Yougoslavie. Au cours des vingt prochaines années, il gravira les échelons du parti, devenant secrétaire général par intérim en 1937. // 1941 > L’Allemagne nazie envahit et conquiert rapidement la Yougoslavie. Les nazis utilisent un État fantoche croate qui jette les bases de l’infrastructure du génocide nazi dans les Balkans. // 1941-1945 > Tito réalise l’unification d’une grande partie des groupes ethniques yougoslaves pour résister aux nazis. Les rebelles, connus sous le nom de Partisans, constituent alors l’une des forces de résistance les plus efficaces face à l’occupation nazie en Europe, ce qui vaut à la Yougoslavie de Tito la reconnaissance et le soutien à la fois des Alliés et de l’Armée rouge. // 1945 > La République populaire fédérale de Yougoslavie, proclamée en novembre, se compose de six États : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie, chacun d’entre eux représentant un groupe ethnique distinct. La Bosnie, en plus des musulmans bosniaques, abrite un mélange important de Serbes, de Croates et d’autres ethnies. // 1948 > Sous le leadership de Tito, la Yougoslavie reste une nation non alignée et aussi critique à l’égard de l’URSS que de l’OTAN. Tito, croate, maintient une emprise serrée sur les six républiques et les différents groupes ethniques devenus « Yougoslaves ». Partisan de l’autogestion et du non alignement, Tito se voit refuser des partenariats stratégiques et économiques de l’Est et de l’Ouest. // 1948-1980 > Le règne de Tito s’achève à sa mort en mai 1980. Le vide de pouvoir qui fait suite à sa disparition conduit les États formant la Yougoslavie à se disputer sa succession. // 1989 > Les partis nationalistes profitent de l’effondrement du communisme dans toute l’Europe de l’Est et du vent de liberté des peuples à l’œuvre et gagnent du soutien au sein de chaque État de la Yougoslavie. // 1990 > Certains États de Yougoslavie instaurent des taxes à l’importation envers les États voisins. En 1987, l’inflation grimpe à 167%. La crise économique provoque une accélération des pénuries de biens de consommation, renforçant la concurrence interne au sein d’États organisés par ethnie.

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Le loup que tu nourris.

Par Elvis Garibovic

Elvis Garibovic a survécu au pire des cauchemars. En avril 1992, il est enlevé par les milices serbes dans une ex-Yougoslavie en pleine dissolution. Le monde n’a pas encore entendu parler de « nettoyage ethnique » lorsqu’il subit tortures et privations extrêmes dans des camps de concentration improvisés au nord-ouest de la Bosnie sous domination serbe. Des mois plus tard, un petit groupe de journalistes, qui a obtenu une brève autorisation pour accéder aux camps, filme son calvaire, ainsi que celui de milliers d’autres musulmans bosniaques. Le photographe Ron Haviv saisit le corps émacié d’Elvis Garibovic au camp de Trnopolje.
Ce dernier, alors âgé de 19 ans, a survécu à ces épreuves, mais il lui a fallu des années et s’installer sur un autre continent pour en finir avec cette expérience.

Camp de concentration de Trnopolje. Ron Haviv comptait parmi la poignée de journalistes que l’on avait autorisés à entrer quelques heures, lorsque l’existence de camps de prisonniers serbes a été révélée au monde par la presse, début août 1992. Il a pu photographier des hommes émaciés qui cherchaient désespérément à raconter leur histoire, même s’ils savaient que cela entraînerait probablement leur mort. Elvis Garibovic est à droite du cadre, dos à la caméra. © Ron Haviv / VII

« À Keraterm, quelques jours après le massacre, j’ai eu 20 ans, le 26 juillet. C’est à ce moment-là que j’ai appris le sens – et le pouvoir – de l’espoir et de la volonté. Je n’étais pas préparé à parier sur ma vie, alors j’ai commencé à observer, à apprendre, et à m’adapter, tout simplement pour survivre.

Je me suis donné encore deux semaines à vivre, car la famine me tuait à petit feu. »

Elvis Garibovic, extrait de son témoignage Le loup que tu nourris dans Imagine : penser la paix (page 231)

« Plus tard ce 5 août, il y a eu de l’agitation. Tout le monde se précipitait sur la clôture de barbelés. Nous avons vu une femme journaliste qui essayait de parler aux gens. Et les caméras tournaient.

Les jours suivants, d’autres photographes sont arrivés, dont Ron Haviv. En les voyant là, avec deux ou trois appareils photo autour du cou, j’ai décidé d’enlever ma chemise, dans l’espoir d’attirer leur attention et d’être photographié. Ainsi, ma famille saurait où j’étais si je venais à disparaître comme tant d’autres avant moi. Je n’ai pas réalisé à quel point j’étais maigre jusqu’à ce que j’enlève ma chemise.

J’avais honte de mon apparence, avec mes os saillants qui perçaient ma peau – mes côtes, ma colonne vertébrale, mes bras chétifs. La douleur que j’ai dû endurer pour juste me lever dans cette chaleur d’été et être photographié est indescriptible.

(…) Un jour passé en camp de concentration équivaut à une année de vie normale. Comme on prend conscience qu’il ne reste peut-être quequelques heures ou quelques jours à vivre, on donne de l’importance à chaque instant. Et on se doit de répondre à la question : quel genre de personne suis-je ? »

Elvis Garibovic, extrait de son témoignage Le loup que tu nourris dans Imagine : penser la paix (pages 231, 233)
Nedžiba Salihović a perdu son mari et son fils dans le massacre de Srebrenica. Ici, dans un camp de réfugiés situé à Tuzla, en Bosnie, elle hurle sur un soldat des Nations unies. 17 juillet 1995. © Ron Haviv / VII

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LA GUERRE // Juin 1991 > La Slovénie d’abord puis la Croatie, les deux États yougoslaves les plus riches, déclarent leur indépendance. La guerre de 10 jours entre les forces slovènes et yougoslaves se termine par la victoire de la nouvelle nation indépendante de Slovénie. // Septembre 1991 > Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte un embargo sur les armes contre tous les anciens États yougoslaves. L’interdiction affecte de manière disproportionnée la capacité d’autodéfense bosniaque. Les forces serbes contrôlent des pans importants de l’ancienne armée yougoslave et les forces croates s’arment lors de la déclaration de leur indépendance. // Janvier 1992 > Le 9, les Serbes de Bosnie déclarent rapidement la création de leur propre État indépendant, Republica Sprska. // Mars 1992 > Le 1er, la Bosnie-Herzégovine vote à son tour en faveur de son indépendance. La nation nouvellement créée comprend trois groupes ethniques principaux : les Croates, les Serbes et les Bosniaques, majoritaires. La Yougoslavie ne comprend désormais que la Serbie, le Monténégro et la province autonome disputée du Kosovo. Néanmoins, les deux États continueront à utiliser le nom de Yougoslavie jusqu’en 2003. // Avril 1992 > Le 6, les États-Unis et la CEE reconnaissent la Bosnie-Herzégovine comme État indépendant.  Le président de la République serbe, Slobodan Milošević, ordonne à son armée d’encercler la ville de Sarajevo. Un rassemblement pour la paix à Sarajevo est interrompu lorsque des coups de feu sont tirés par des Serbes radicaux. Le siège de Sarajevo commence. Puis, Bijeljina est la première ville bosniaque à être investie par ses hommes. // 1992-1995 > Les forces serbes organisent le nettoyage ethnique systématique des zones peuplées de Bosniaques. La CIA et l’ONU estiment qu’elles seraient responsables de 90% des crimes de guerre perpétrés pendant le conflit, les forces croates et bosniaques étant responsables des 10% restants. // Août 1992 > Ainsi, des camps de prisonniers de guerre sont découverts dans le nord-ouest de la Bosnie : des milliers d’hommes ont été tués et torturés dans les camps d’Omarska, Manjaca, Keraterm et Trnopolje et ce pendant plusieurs mois au printemps et à l’été 1992. // 1993 > Les Croates de Bosnie et les Bosniaques sombrent dans le conflit. Les trois États de l’ex-Yougoslavie, la Croatie, la Bosnie et la Serbie, se livrent à présent une guerre ethnique sans merci. // 1993 – 2017 > Ouverture du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye. Sur une période de 24 ans, 161 actes d’accusation ont abouti à 90 condamnations. // 1994 > Les forces croates et bosniaques parviennent à un accord de cessez-le-feu. L’OTAN prend un rôle militaire actif, met en place une zone d’exclusion aérienne et mène des missions de bombardement contre les positions serbes. // Juillet 1995 > Les forces serbes massacrent plus de 8 000 hommes et adolescents à Srebrenica, l’une des six « zones de sécurité » déclarées par l’ONU. Les quelques 400 casques bleus néerlandais ont été débordés lorsque les Forces serbes de Bosnie ont pris la ville, expulsé les femmes et les enfants et rassemblé les hommes pour les exécuter. Le TPIY a conclu par la suite que les crimes commis à Srebrenica constituaient un génocide.

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La justice pénale internationale n’est pas un simple post-scriptum

Par Richard Goldstone

Le juge Richard Goldstone fut le procureur général nommé au Tribunal pénal international des Nations unies pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda de 1994 à 1996. Magistrat depuis vingt-trois ans dans son pays d’origine, l’Afrique du Sud, notamment à la Cour constitutionnelle, il a présidé la « commission Goldstone » chargée d’enquêter sur la violence politique sud-africaine du début des années 1990. Richard Goldstone a consacré la majeure partie de sa vie à mener des enquêtes sur les crimes de guerre et les violations internationales des droits de l’Homme, notamment en ex-Yougoslavie, au Rwanda et à Gaza. Son point de vue est que la justice pénale internationale donne plus qu’un simple post-scriptum légal aux nations qui se relèvent d’une guerre. Elle peut influer sur le chemin vers la paix et elle apporte un apaisement essentiel aux victimes.

« Les crimes de guerre commis dans l’ex-Yougoslavie au début des années 1990 ont conduit le Conseil de sécurité des Nations unies à fonder le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en mai 1993. En vertu du droit international, le Conseil de sécurité ne pouvait prendre cette initiative qu’en usant de l’autorité qui lui est conférée par le chapitre VII de la Charte des Nations unies, et uniquement comme moyen de lever la menace sur la paix et la sécurité internationales que posait la guerre en cours. Pour fonder le TPIY, le Conseil de sécurité devait lier paix et justice. »

« L’objectif principal des procès était de punir les dirigeants responsables des crimes abominables qui ont mis en péril la dignité humaine. On espérait qu’en faisant porter à ces individus la responsabilité de leurs actes, on permettrait aux sociétés de transcender leur responsabilité collective et de commencer à se réparer. S’ajoutait à cela la conviction que de tels procès dissuaderaient de futures agressions et feraient donc progresser la cause de la paix dans le monde.

(…) Le TPIY n’a pas empêché la perpétration de graves crimes de guerre. En effet, le tristement célèbre génocide de Srebrenica en juillet 1995 a été commis sur ordre de Radovan Karadžić (président autoproclamé de la République serbe de Bosnie) et de Ratko Mladić (commandant de l’armée serbe de Bosnie) quelques mois après que le TPIY a annoncé publiquement qu’ils allaient tous les deux être poursuivis pour des crimes de guerre commis antérieurement, l’acte d’accusation officiel ayant été émis le 25 juillet 1995. »

Richard Goldstone, extrait de son essai La justice internationale n’est pas qu’un simple post-scriptum dans Imagine : penser la paix (page 245)

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LA PAIX // Novembre 1995 > Les dirigeants de Croatie, Bosnie et Serbie convoquent des négociations à Dayton, en Ohio. La pression de l’OTAN et du négociateur américain Richard Holbrooke amène les trois parties à la table où un accord de paix est conclu. Les troupes américaines arrivent dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l’OTAN. Les accords de Dayton établissent un accord tripartite de partage du pouvoir qui, bien que prévu pour être temporaire, continue de gouverner la Bosnie-Herzégovine encore à ce jour. // 1998-2001 > D’abord au Kosovo, puis en Albanie et en Macédoine, le conflit ethnique continue de sévir dans la région des Balkans. // 2001 > Le général serbe de Bosnie Radislav Krstić est reconnu coupable de génocide pour le massacre de Srebrenica. Le parti serbe de Bosnie expulse tous les suspects de crimes de guerre de la République serbe de Bosnie-Herzegovine. // 2003 > La Commission pour les personnes disparues, dirigée par les musulmans de Bosnie, découvre une fosse commune près de Zvornik, dans l’est de la Bosnie. Le charnier, censé contenir plus de 600 victimes du massacre de Srebrenica, n’est qu’un des nombreux charniers présents en Bosnie. // 2004 > L’OTAN abandonne ses fonctions de maintien de la paix en Bosnie aux forces de l’Union européenne. // 2005 > Une unité bosniaque composée de Croates, Serbes et Musulmans de Bosnie se rend en Irak pour soutenir la coalition dirigée par les États-Unis. // 2006 > Slobodan Milosevic, ancien président de la Yougoslavie et de la Serbie, décède dans sa cellule de prison au TPIY. Sa mort, des mois avant le verdict de son procès, soulève des soupçons de suicide ou de délit, mais aucune preuve substantielle de l’un ou l’autre n’a été trouvée. // 2008 > Radovan Karadzic, le dirigeant serbe de Bosnie, est arrêté après 13 ans de fuite pour échapper à son procès devant le TPIY. // 2012 > Débute le procès pour crimes de guerre de Ratko Mladic, ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, à La Haye. // > Mars 2016 > Radovan Karadzic est reconnu coupable de 10 chefs d’accusation sur 11, de génocide et crimes de guerre. // Novembre 2017 > Ratko Mladic est reconnu coupable de crimes de guerre et de génocide, notamment lors du massacre de Srebrenica. // 2017 > Slobodan Praljak, un chef militaire croate, avale un poison au tribunal après que sa condamnation a été confirmée pour crimes contre l’humanité. Entre autres chefs d’accusation, il avait été reconnu coupable du massacre de 37 musulmans à Stupni Do. // 2014-2020 > La Bosnie-Herzégovine continue de demander son adhésion à l’UE et à l’OTAN. La lenteur de la croissance économique et le blocage de la gouvernance tripartite sont restés des obstacles à la réalisation de ces deux objectifs. Le FMI et la Banque mondiale classent la Bosnie comme ayant l’un des taux de PIB par habitant les plus bas d’Europe.

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« Tout accord qui met fin aux massacres, au nettoyage ethnique, en d’autres termes à la guerre, est une réussite qui mérite d’être saluée. Les accords de paix de Dayton, en ce sens, méritent à la fois notre gratitude et notre respect. Sans l’article IV, qui est devenu et qui est toujours la base de la Constitution de Bosnie-Herzégovine, les accords de Dayton seraient sans faille.

Le premier défaut majeur de la Constitution de Dayton, comme on l’appelle couramment, est que, pour sauver des intérêts ethniques essentiels, l’article IV a créé un cauchemar légal, procédural et politique. La Bosnie-Herzégovine occupe moins de la moitié du territoire de l’État de New York ; cependant, la Constitution a divisé un simple État d’avant-guerre en deux entités « étatiques ». Une entité est appelée la République serbe de Bosnie, l’autre, la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine. La Fédération est ensuite divisée en 10 districts, lesquels sont à leur tour divisés en municipalités. Il y a aussi une ville dans le Nord, Brčko, qui n’appartient à aucune des deux entités. Elle forme son propre district, un territoire neutre et autonome. »

Predrag Peda Kojović, extrait de sa conversation avec Fiona Turner Les périls d’une paix imposée dans Imagine : penser la paix (pages 237-238)

À propos de Predrag Peđa Kojović

Predrag Peđa Kojović vit à Sarajevo. Il est né en 1965 d’un père serbe et d’une mère croate. Quand le pays se déchire au début des années 1990, il s’engage comme reporter pour l’agence Reuters.
Il pense alors qu’informer le monde des événements se déroulant en ex-Yougoslavie peut permettre de changer le cours des choses. Désillusionné, il continue après la guerre sa carrière de journaliste et couvre les actualités internationales. Predrag Kojović retourne ensuite en Bosnie pour cofonder Naša Stranka (« Notre parti »), un parti libéral et progressiste, et, en 2018, il obtient un siège au parlement national.
Il soutient que la codification rigide de l’identité ethnique induite par les accords de Dayton dans la Constitution nationale a bloqué de manière effective tout progrès vers la paix.

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En 2017, Nedžiba Salihović et d’autres veuves de Srebrenica célèbrent la condamnation du général serbe Ratko Mladić pour son implication dans le génocide de 1995. Nedžiba Salihović a perdu son mari et son fils dans le massacre. © Ron Haviv / VII
Reportage © Ron Haviv / VII in Imagine : penser la paix.

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Brigitte Trichet

Brigitte Trichet

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Le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR) accueille la VII Foundation pour une exposition temporaire sur le thème de la paix. Avec, comme points de réflexions, les principaux sujets abordés dans le livre Imagine : penser la paix (Imagine: Reflections on Peace).